Aides à l'écriture d'œuvre musicale originale : une réforme entraînant de nombreux dysfonctionnements
- Communiqué
- vendredi 13 novembre 2020
Suite à la décentralisation des commissions, un rapport rédigé par le syndicat pointe de nombreuses anomalies et propose au ministère de suivre quinze préconisations urgentes.
Le paysage de la création musicale en France vit en ce moment des temps difficiles. Les structures culturelles existantes depuis plusieurs décennies sont redéfinies, et ce de façon abrupte et radicale. Les conséquences de ces réformes touchent directement les compositrices et compositeurs de musique contemporaine, ajoutant de nouvelles difficultés à une profession de plus en plus en marge.
Les aides à l’écriture d’œuvre musicale originale, mises en place par le ministère, ont pour vocation initiale de susciter des créations, de soutenir le travail des compositrices et compositeurs et d’aider à la diffusion des œuvres. Or, la décentralisation de ces aides, à savoir l’éclatement de la commission nationale en une dizaine de commissions régionales, a bouleversé le système des commandes. Ce sont maintenant les DRAC qui reçoivent les dossiers des candidats, composent les commissions des membres experts et recueillent les évaluations.
Le Syndicat français des compositrices et compositeurs de musique contemporaine a donc rédigé un rapport en menant une enquête approfondie, réalisée auprès des compositrices et compositeurs convoqués comme membres experts dans les différentes commissions. Ce rapport complet d’une quinzaine de pages, mis à disposition des membres du syndicat et transmis au ministère de la Culture, rassemble les résultats de cette enquête, ainsi que leurs analyses et propose quinze préconisations.
Dysfonctionnements observés
Membres experts des commissions
Dans plusieurs DRAC, force est de constater une absence flagrante et un manque de représentativité de membres experts compositrices et compositeurs, qui lorsqu’ils sont présents, restent minoritaires. Le manque de compétence en écriture des experts « non-compositeurs » en charge des évaluations entraîne donc des disparités d’évaluation au détriment des dossiers candidats. Qui, mieux que les compositrices et compositeurs, est à même d’avoir un regard expert sur un projet d’écriture ?
Hétérogénéité des dossiers
Dans les commissions, une grande confusion entre les différentes pratiques esthétiques de la création musicale est observée. Comment est-il possible d’expertiser avec les mêmes critères d’évaluation des dossiers complètement hétérogènes : un projet de musique de chambre, auquel succède un projet pour fanfare, puis une musique de scène et enfin une chanson ? Il en ressort une évidence : la nécessité d’une commission spécifique pour l’écriture, avec des membres experts compositeurs.
Qu’est-ce que l’écriture ?
Dans toutes les commissions régionales, une question récurrente est discutée entre les membres experts : qu’est-ce que l’écriture musicale ? Il faut savoir qu’une compositrice ou un compositeur qui a reçu une commande mettra probablement six mois pour écrire un quatuor à cordes, douze mois une pièce d’orchestre et deux à trois ans un opéra. La création musicale est un travail de recherche et d’invention sur la forme et le langage qui nécessite un engagement dans le temps. Nous constatons que lors des commissions régionales, les projets d’écriture de musique instrumentale et mixte ont été souvent dépréciés en faveur de projets plus proches du spectacle ou de la performance. La « musique de concert », ayant un discours autonome et constituant un outil de spéculation sur le langage – autrement dit toute musique n’ayant pas un « programme » –, a été dévalorisée. Ce constat est sans doute intrinsèquement lié à notre époque, mais également à la constitution des commissions qui semblent manquer de compétence dans le domaine de l’écriture musicale de concert.
Critères d’évaluation
Dans l’ensemble des commissions, les dossiers sont évalués selon trois critères :
- La technicité. Il faut des membres experts qualifiés pour en juger. Quel sens donner au critère de technicité quand s’enchaînent musique symphonique, musique actuelle, projet pédagogique, fanfare et musique du monde, au sein d’une même commission ?
- Le projet artistique. L’intérêt artistique du projet se substitue souvent au manque de technicité et entraîne le soutien de la commission à des projets qui ont un intérêt artistique situé ailleurs que dans l’écriture musicale à proprement parler. Il y a là une ambiguïté entre « aide à l’écriture » et « aide au projet ».
- La diffusion. Si l’on se base sur la diffusion des projets pour les évaluer, on prend le risque de mettre rapidement de côté les demandes de composition en écriture qui ont généralement un commanditaire et une, voire deux dates, comme en témoigne l’état de la diffusion actuelle de la musique de création. Ainsi, les projets qui font l’objet d’une production scénique ou pluridisciplinaire, avec plusieurs coproducteurs et donc plusieurs dates, voire une tournée, sont évidemment favorisés. Ce critère est donc pénalisant et injuste pour la création musicale. Il doit être supprimé.
Tandis que l’œuvre musicale de concert fait un pari dans le temps, en s’inscrivant dans un répertoire de soliste, d’ensemble, d’orchestre, le projet spectaculaire s’inscrit généralement davantage dans un court ou moyen terme, lié aux contingences techniques de la tournée.
De plus, cette faveur donnée au projet performatif plus qu’à l’œuvre de concert risque de peser de plus en plus sur les ensembles spécialisés, qui sont déjà dans l’immense difficulté de trouver des dates et risquent de ne plus pouvoir programmer et faire rayonner la musique de création.
Préconisations
Pour l’année 2020, le SMC demande au ministère de débloquer les listes d’attente des commandes et d’abaisser la barre des évaluations, faisant ainsi preuve d’indulgence sur les évaluations de demandes qui ont parfois souffert des dysfonctionnements observés.
Pour l’année 2021, le SMC enjoint le ministère de mettre en œuvre les quinze préconisations urgentes que propose le rapport, dont particulièrement :
- la mise en place d’une commission spécialisée et spécifique « écriture contemporaine » ;
- un jury d’experts qualifiés, avec compositrices et compositeurs majoritaires ;
- une augmentation du budget des Aides à l’écriture d’une œuvre musicale originale ;
- la suppression de la contrainte de diffusion pour les musiques d’écriture sans caractère scénique.