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Radio France et les compositrices et compositeurs de musique contemporaine

Observations

  1. Place de la création dans la saison artistique
    1. Répartition du répertoire contemporain dans les saisons artistiques
    2. Rôle des formations musicales permanentes
    3. Compositrices et compositeurs joué·e·s
    1. Conclusions
  2. Diffusion, promotion et valorisation radiophonique
    1. Présence générale à l'antenne
    2. Présence des œuvres des compositrices et compositeurs vivant·e·s à l’antenne
    3. Présence des compositrices et compositeurs vivant·e·s à l’antenne
    1. Conclusions
  3. Accompagnement des compositrices et compositeurs
    1. Commande d’œuvre
    2. Développement des résidences
    3. Accompagnement à l’enregistrement

Place de la création dans la saison artistique

Répartition du répertoire contemporain dans les saisons artistiques

Que ce soit à l’Auditorium de la Maison de la radio et de la musique, au Studio 104 ou bien en tournées, la saison artistique de Radio France met notamment à l’honneur ses quatre formations : l’Orchestre national de France, l’Orchestre philharmonique de Radio France, le Chœur de Radio France et la Maîtrise de Radio France.

Durant les saisons 2017–2018, 2018–2019 et 2019–2020, Radio France a proposé 557 concerts issus de 482 programmes, pour un total de 1 634 occurrences d’œuvres1, dont 475 écrites après 1950, 327 par des compositrices et des compositeurs vivant·e·s et 99 créations.

GRAPHIQUE 1 : Répartition générale des occurrences d’œuvres par inclusion des catégories

Les premières observations montrent que :

En comparaison avec l’ensemble des saisons étudiées, les trois éditions du festival Présences ne correspondent qu’à 52 concerts sur 557 (9,3 %) et qu’à 51 programmes sur 482 (10,6 %). Cependant, il apparaît, chaque année au mois de février, comme un moment charnière dans la programmation de musique contemporaine de Radio France.

GRAPHIQUE 2 : Poids du festival Présences dans la proportion des catégories d’œuvres interprétées

Alors qu’il ne rassemble que 13,0 % de la totalité des occurrences d’œuvres interprétées à Radio France, le festival concentre 37,5 % des occurrences d’œuvres écrites après 1950 et 45,0 % des œuvres écrites par les compositrices et compositeurs vivant·e·s. Mieux encore, plus de la moitié des œuvres nouvelles, 59,6 %, sont créées au cours du festival.

Cette concentration du répertoire contemporain a une influence majeure sur la répartition générale de la programmation de Radio France. Sans Présences :

GRAPHIQUE 3 : Poids du festival Présences dans la répartition générale des occurrences d’œuvres par inclusion des catégories

L’analyse de l’évolution du nombre mensuel d’œuvres interprétées de 2017 à 2020 fait apparaître très clairement que la programmation de Radio France connait 3 moments forts : l’ouverture (en septembre–octobre), la clôture (mai–juin) et surtout le mois de février, qui correspond à la période du festival Présences.

GRAPHIQUE 4 : Évolution du nombre mensuel d’œuvres interprétées de 2017 à 2020

Le poids du festival Présences pour le répertoire contemporain se traduit donc par une « explosion » des œuvres composées après 1950, de compositrices et compositeurs vivant·e·s et en créations pour les mois de février. À une moindre échelle, on observe également une légère augmentation du nombre de créations autour du mois d’avril, au cours duquel se tient le festival Présences électronique en partenariat avec le Groupe de recherches musicales de l’Institut national de l’audiovisuel (INA-GRM).
En revanche, pour le répertoire avant 1950, il n’y a pas vraiment de période privilégiée : la programmation est relativement constante et suit les pics observés pour l’ensemble des œuvres, hormis pour les mois de février, où l’on n’observe cependant pas un recul notable.
Il est également intéressant de constater que les mois qui entourent le festival Présences sont « pauvres » en œuvres contemporaines, alors que ces périodes restent encore favorables pour les musiques de patrimoine.

Malgré une programmation mensuelle plutôt inégale, il y a donc un répertoire patrimonial ancré durablement et de manière assez homogène sur l’ensemble de la saison d’un côté et de l’autre un répertoire contemporain concentré sur un seul mois de festival et marginalisé, voire quasi inexistant, pour le reste de l’année. La pérennisation et la fidélisation d’un public autour d’un genre musical ne semblent pas compatibles avec une irrégularité de concerts. Une telle stratégie de programmation rend impossible la lente et progressive formation d’habitudes d’écoute, l’affermissement de goûts esthétiques et les critiques constructives.

Alors qu’il apparait indispensable aujourd’hui, le festival Présences – et Présences électronique dans une moindre mesure – est l’arbre qui cache la forêt et pourrait s’avérer à terme comme un cadeau empoisonné fait à la musique contemporaine. Il convient d’ailleurs de noter que ce festival, qui s’étendait autrefois sur plusieurs semaines, se concentre aujourd’hui sur quelques jours, principalement autour d’un week-end au cours duquel se succèdent la plupart des concerts – confirmant ainsi notre constat à l’échelle de l’ensemble de la programmation.

Pour éviter les phénomènes de niches et d’exclusion, il semble essentiel que la musique contemporaine puisse être, comme l’est déjà la musique patrimoniale, répartie de manière plus homogène dans la programmation annuelle de la Maison de la radio et de la musique. La concentration actuelle autour de quelques jours en février n’est en aucun cas suffisante pour rendre compte de la diversité et de la densité des productions contemporaines.

Rôle des formations musicales permanentes

Radio France dispose de quatre formations permanentes permettant à plus de 300 musicien·ne·s professionnel·le·s et 180 jeunes chanteuses et chanteurs de se produire régulièrement :

GRAPHIQUE 5 : Participation des formations permanentes de Radio France à l’interprétation des œuvres programmées sur l’ensemble des trois saisons2

Un premier constat est que la musique vocale est moins présente que la musique instrumentale dans la programmation. En effet, le Chœur et la Maîtrise, respectivement 8,2 % et 11,4 % des œuvres programmées, sont moins mis à contribution que l’Orchestre national de France – 19,0 % – et surtout l’Orchestre philharmonique de Radio France – 32,1 %.

Pour autant, concernant le répertoire contemporain, seul l’Orchestre philharmonique de Radio France est régulièrement sollicité à 36,6 % ; toutes les autres formations ne participent qu’à une part infime du répertoire de la seconde moitié du XXe siècle.
Cette observation est cohérente quant à la vocation historique de l’Orchestre philharmonique de Radio France qui, depuis sa refondation en 1976, est destiné à jouer les œuvres de leur temps. Nous observons cependant que les œuvres des compositrices et compositeurs vivant·e·s ne représentent au final que 19,1 % des œuvres jouées par cette formation (100 sur 524).

Même si cela représente une part minime de son activité, 9,1 %, l’Orchestre national de France a la particularité de limiter son interprétation d’œuvres composées après 1950 quasi-exclusivement à des créations, particulièrement lors du festival Présences.

La création ne représente que 3,0 % dans l’activité du Chœur de Radio France, alors qu’il est le seul chœur professionnel à vocation symphonique en France.

La Maîtrise de Radio France, tout comme l’Orchestre philharmonique de Radio France a une activité un peu plus tournée vers la musique contemporaine ; l’ensemble vocal participe à hauteur de 11,4 % de l’ensemble de la programmation, mais à hauteur de 12,8 % des œuvres après 1950 et même 15,3 % des œuvres écrites par des compositrices et compositeurs vivant·e·s, sans pour autant être très actif dans la programmation de Présences (3,9 %).

Si l’Orchestre philharmonique de Radio France doit pleinement redevenir un outil au service de la création, en posant la question de la prise de risque esthétique et technique, il est essentiel de réaffirmer la place de la musique contemporaine pour chacune des autres formations musicales permanentes. En particulier, du fait de son caractère unique en France, le Chœur de Radio France devrait très largement augmenter sa part de créations dans son répertoire.

Poids des formations permanentes vis-à-vis des artistes et ensembles invité·e·s

Les formations musicales permanentes de Radio France interprètent 63,9 % des œuvres programmées alors que les 36,1 % restants sont confiées à d’autres artistes ou ensembles.

Parmi ces autres artistes et ensembles, en plus des invitations ponctuelles d’interprètes, Radio France a mis en place une politique d’artistes en résidence à partir de 20183, qui concernent quasi-exclusivement des interprètes.

Ces résidences permettant notamment d’avoir un organiste titulaire pour l’orgue Grenzing de l’Auditorium.

GRAPHIQUE 6 : Comparaison de la participation à l’interprétation des œuvres programmées sur l’ensemble des trois saisons des formations permanentes de Radio France avec celle des invité·e·s4

Si les formations musicales permanentes interprètent majoritairement le répertoire programmé, cette tendance s’inverse s’agissant des créations : 59,6 % sont interprétées par des artistes ou ensembles non-permanents.
D’ailleurs, dans la période où il y a le plus de créations, c’est-à-dire pendant le festival Présences, les formations musicales permanentes de Radio France ne participent qu’à hauteur de 25,5 %. Présences est donc un festival qui fait très largement appel à des ensembles et artistes invité·e·s.

Il peut sembler étonnant que Radio France ne confie pas une part plus importante des œuvres contemporaines à ses propres formations.
Pour relativiser, il est vrai qu’une partie très importante du répertoire contemporain est conçue pour des formations « plus légères » en effectif, donc « plus malléables » et qui ne correspond pas à l’inertie des grands ensembles vocaux et instrumentaux permanents.
Cela dit, multiplier les commandes pour ce genre de formation permettrait de recentrer les forces existantes de Radio France au sein de son propre festival et dans le même élan, de dynamiser à nouveau les répertoires chorals et symphoniques contemporains, délaissés, en grande partie contre leur gré, par les compositrices et les compositeurs en activité.
Par ailleurs, une réflexion sur la convocation de l’Orchestre philharmonique de Radio France en format réduit et à géométrie variable lui permettrait d’explorer le répertoire pour grand ensemble, en prenant modèle sur les musicien·ne·s des orchestres qui s’emparent d’ores-et-déjà du répertoire de musique de chambre.

Il est essentiel que les formations permanentes puissent, sur leurs budgets respectifs, participer pleinement au festival Présences et à tous les temps forts liés à la création, en s’inscrivant dans la programmation conçue pour l’occasion par le bureau de la création musicale.

Compositrices et compositeurs joué·e·s

Sur les trois saisons étudiées, les œuvres écrites après 1950 qui ont été jouées ont été écrites par 243 compositrices et compositeurs, dont 183 sont encore vivant·e·s.

Effet de concentration

Un effet de concentration apparaît immédiatement concernant les occurrences d’œuvres écrites après 1950 :

GRAPHIQUE 7 : Concentration des compositrices et compositeurs sur le premier quart des occurrences d’œuvres écrites après 1950

Si cet effet de concentration reste assez limité concernant les créations, il est en revanche particulièrement inquiétant s’agissant des reprises. En effet, est mise en lumière ici l’importante sélection opérée par la programmation : la politique de reprise, au lieu de valoriser le travail des compositrices et compositeurs dans toute sa diversité, a au contraire pour effet principal de participer à la « starification » d’une minorité.

En outre, il est effarant de constater qu’aucune compositrice n’apparaît dans ces classements et que les compositeurs dont les œuvres sont majoritairement reprises ne peuvent incarner à eux-seuls toute la diversité esthétique de la création musicale – si la musique de film est représentée, il n’en n’est pas de même pour certains pans de la musique contemporaine tels que la musique mixte ou bien la musique électroacoustique.

Il est primordial que Radio France rétablisse un équilibre entre les compositrices et compositeurs, particulièrement pour les reprises d’œuvres, sans se limiter à quelques têtes d’affiches qu’elle contribue à créer.

Il convient également de noter que la concentration observée correspond en grande partie à la programmation du festival Présences : les trois portraits sur la période étudiée – Thierry Escaich en 2018, Wolfgang Rihm en 2019 et George Benjamin en 2020 – concordent avec la concentration évoquée supra.
Dès lors, le format de ce festival interroge : est-il opportun de proposer chaque année un portrait ? Ce dernier semble en effet amplifier un phénomène qu’il conviendrait plutôt d’éviter.

Le festival Présences devrait mieux mettre en valeur l’importance de la création française, dans toute sa diversité et son originalité, au regard de la création internationale, en devenant au minima un double portrait – par exemple une compositrice ou un compositeur français·e et une compositrice ou un compositeur étranger·ère.

Répartition des âges

La moyenne âge en 2020 est de 64 ans pour toutes et tous et 53 ans pour les compositrices et compositeurs vivant·e·s.5

GRAPHIQUE 8 : Répartition par âge des compositrices et compositeurs (œuvres écrites après 1950)

La répartition de la présence des compositrices et des compositeurs en quatre tranches d’âge montre un équilibre entre les décédé·e·s et les plus de 60 ans – environ un quart du total non-cumulé pour chacune de ces tranches –, tandis que pour les catégories plus jeunes, la tranche d’âge entre 40 et 60 ans est la plus représentée – 33,7 % du total non-cumulé –, au détriment des moins de 40 ans – 16,0 %.

Au regard de l’évolution, les catégories les plus jeunes semblent être de plus en plus représentées entre 2017 et 2020. Il faut sans doute relativiser ce résultat, car une étude sur seulement trois saisons ne peut pas vraiment dégager de tendances définitives. Néanmoins, il convient de noter que la dernière saison fait la part belle aux jeunes, en particulier à la catégorie « entre 40 et 60 ans » qui atteint une part de présence de 40,4 %. Malgré tout, la catégorie des plus jeunes reste minoritaire, 15,4 % et il faudra attendre les prochaines saisons de programmation pour savoir si une confirmation de cette tendance est réellement en cours.

GRAPHIQUE 9 : Répartition par âge des œuvres écrites après 1950

Il y a une certaine logique dans la répartition des reprises d’œuvres par catégorie d’âge : plus l’âge est élevé, plus il y a de reprises.
En revanche, pour la création, les compositrices et compositeurs entre 40 et 60 ans obtiennent au total deux fois plus de commandes que les moins de 40 ans. L’écart semble assez important, surtout si on considère la somme des reprises et des créations des moins de 40 ans : 51 occurrences d’œuvres comptabilisées, soit une part de 10,7 % des œuvres écrites après 1950.

S’il est délicat de juger la part idéale pour les jeunes compositrices et compositeurs, il semble qu’un effort supplémentaire pour les mettre en avant pourrait être opportun.

Parité femme/homme6

GRAPHIQUE 10 : Répartition par genre F/M des compositrices et compositeurs pour les œuvres écrites après 1950

De 2017 à 2020, la programmation de Radio France fait état d’une part de présence de 14,0 % pour les compositrices. On recense 34 compositrices pour 209 compositeurs. Nul doute que cela n’est pas assez et montre qu’il faut encore accélérer les politiques de valorisation du travail des compositrices.

Il faut souligner cependant que l’évolution de cette présence, saison par saison est en augmentation. De 9,7 % pour 2017–2018 à 11,1 % pour 2018–2019, l’évolution est encore timide. En revanche, de 11,1 % pour 2018–2019 à 19,2 % pour 2019–2020, l’évolution est déjà plus conséquente. En prenant les chiffres, on constate que la progression est réelle :

Si on constate une amélioration de leur présence au cours des saisons, la part des œuvres des compositrices restent encore minoritaire. Pour les reprises, la part de 7,1 % est vraiment très faible, mais prévisible car les reprises concernent principalement les compositrices et les compositeurs aux carrières déjà avancées. La part de 18,6 % pour les créations semble meilleure en apparence, mais c’est encore très insuffisant, d’autant plus que pour les commandes, atteindre la parité est un objectif beaucoup plus accessible. Au total, la part de 9,5 % d’œuvres de compositrices pour le répertoire contemporain est encore très éloignée d’un esprit paritaire.

Si l’on s’attache spécifiquement à la répartition des œuvres chez les moins de 40 ans, on ne peut que déplorer la très faible part de compositrices – 17,8 %.
La part des reprises pour les jeunes compositrices, 21,2 % est très inférieure à celle des jeunes compositeurs. Cette donnée pourrait s’expliquer par une absence de politique en faveur des jeunes compositrices dans les années antérieures.
En revanche, la part quasi inexistante de créations de jeunes compositrices – 8,3 % – est totalement incompréhensible si l’on considère que la parité est un objectif revendiqué par Radio France : 5 œuvres commandées à des jeunes compositrice en trois ans correspond à moins de 2 commandes à de jeunes compositrices par an.
Ce résultat est loin d’être anodin, si dès le début de leur carrière les compositrices sont invisibilisées et ne font pas l’objet de commandes, comment pourraient-t-elles revendiquer à une égalité de considération vis-à-vis de leurs homologues masculins ?

Davantage de commandes devraient être attribuées aux compositrices et une politique d’incitation aux reprises des œuvres féminines devrait être mise en place. Cette attention à la parité doit être toute particulière s’agissant des jeunes compositrices et compositeurs.

Conclusions

La saison de concerts de Radio France est un outil puissant de la diffusion musicale. Son importance dans le paysage musical et ses choix de programmation en font une vitrine influente pour l’ensemble des diffuseurs de musique en France comme à l’international.

Dès lors, les politiques de programmation revêtent une importance capitale et déterminent fortement les destinées des diverses formes musicales. Nous sommes persuadés que la vitalité d’une discipline artistique se mesure à l’aune d’un équilibre consenti entre son patrimoine et ses forces créatrices en activité.

Si les musiques patrimoniales sont régulièrement jouées et réparties de manière homogène sur l’ensemble d’une saison, ce n’est pas le cas de la musique contemporaine. Le festival Présences est certes un outil indispensable pour la diffusion du répertoire contemporain mais il devrait s’ajouter à une politique de programmation régulière et soutenue de créations et de reprises d’œuvres, et non la remplacer comme c’est le cas actuellement.

Les quatre formations permanentes attachées à Radio France sont des formidables outils qui permettraient d’accompagner une activité musicale renforcée tournée vers le répertoire après 1950. Cependant, la musique contemporaine est minoritaire dans leur répertoire.

Dans la saison de concerts de Radio France, les ensembles et les solistes invité·e·s sont les formations qui créent et reprennent majoritairement le répertoire contemporain. La diversité des effectifs utilisés par les créateurs et créatrices en activité peut en partie expliquer ce résultat. Cependant, un rééquilibrage entre les formations permanentes et les invités est possible et souhaitable :

Quant à la diversité de la représentation des créatrices et créateurs vivant·e·s, il est indispensable d’éviter l’écueil des effets de concentration qui surexposent les catalogues de quelques compositeurs au détriment des autres créatrices et créateurs. Dès lors, des politiques fortes permettant de juguler la marginalisation de certains groupes minoritaires doivent être mises en place : au plus vite, la parité doit être atteinte et le travail des jeunes compositrices et compositeurs doit être valorisé. De surcroît, un regard attentif doit tout particulièrement être porté sur les jeunes compositrices. Pour ce faire :

Diffusion, promotion et valorisation radiophonique

En préambule il convient de rappeler le Cahier des missions et des charges de la société Radio France :

La société conçoit et fait diffuser cinq programmes nationaux : [...]
2° Un programme musical présentant les divers genres musicaux, favorisant la création musicale et s’attachant à mettre en valeur les œuvres du patrimoine et la musique vivante ;

Article 25 (extrait)

La société promeut les créations dans le domaine de la musique, en donnant une place privilégiée aux œuvres d’origine nationale.

Article 28 (extrait)

Présence générale à l'antenne

La musique contemporaine n’est aujourd’hui présente que sur l’antenne de France Musique et est totalement absente de toutes les autres antennes de Radio France. L’étude se concentre donc ici uniquement sur les programmes proposés par France Musique.

Alors que le cahier des charges précité prévoit « un programme musical présentant les divers genres musicaux, favorisant la création musicale et s’attachant à mettre en valeur les œuvres du patrimoine et la musique vivante », la concurrence du privé semble avoir progressivement éloigné France Musique de sa première mission au profit du répertoire de patrimoine, aujourd’hui largement prépondérant à l’antenne.

Sur la grille 2020–2021 de France Musique, les émissions uniquement dédiées à la musique contemporaine sont les suivantes :

Ces émissions représentent 4,5 % du temps total d’antenne. À titre de comparaison, les émissions uniquement dédiées au jazz représentent 8,3 % du temps d’antenne, soit presque le double.

Par ailleurs, plusieurs émissions de France Musique – représentant 8,9 % du temps total d’antenne – sont occasionnellement dédiées à la musique contemporaine7 :

Outre les émissions précitées, la présence des compositrices et compositeurs se limite essentiellement :

Au final, la musique contemporaine ne représente guère plus de 10 % du temps total d’antenne de France Musique.
En outre, alors qu’elle est déjà confinée à cette seule antenne, elle est essentiellement diffusée à partir de 20h les mercredi et dimanche soir. La seule soirée du dimanche soir, soit 2,6 % du temps d’antenne, représente à elle seule presque la moitié du temps d’antenne dédiée à la musique contemporaine.
Sa présence quotidienne se limite ensuite à l’émission Création mondiale – deux fois 5 minutes par jour – et à de très rares séries de Grands entretiens – deux fois 25 minutes par jour.

Dès lors, cette diffusion la place une fois de plus dans le ghetto que l’on reproche aux compositrices et compositeurs de construire eux-mêmes. Mais quel artiste souhaite vivre dans un ghetto ?
Il convient de noter que cette situation est particulièrement criante pour certaines formes artistiques telles que la musique électroacoustique qui, hors certaines commandes pour l’émission Création mondiale, se cantonne à une heure d’émission en partenariat avec l’INA-GRM le dimanche soir à 23h30.

Bon an, mal an, la part de la musique contemporaine reste très discrète sur les ondes de France Musique. Cela provient peut-être des difficultés à positionner ce genre dans le paysage musical. Dans ce cas, il faut une fois pour toutes clarifier les choses. Soit :

Outre le fait que la musique contemporaine devrait retrouver droit de cité sur les autres antennes de Radio France, sa présence générale sur l’antenne de France Musique mériterait d’être revue. D’une part, cette présence devrait être globalement accrue sur l’ensemble de la grille. D’autre part, elle ne devrait plus être confinée à des ghettos et trouver sa place naturellement dans la programmation de la station, quotidiennement et tout au long de la journée, dans la continuité du répertoire patrimonial qu’elle prolonge.

GRAPHIQUE 11 : Présence hebdomadaire de la musique contemporaine sur France Musique en 2020–2021

Présence des œuvres des compositrices et compositeurs vivant·e·s à l’antenne

La présence des œuvres des compositrices et compositeurs vivant·e·s est principalement répartie sous quatre formes : la retransmission de concerts, les commandes radiophoniques, la création radiophonique et la diffusion d’enregistrements discographiques.

La retransmission de concerts

La retransmission de concerts demeure sûrement le moyen qui reflète le plus fidèlement la vitalité du travail des compositrices et compositeurs vivant·e·s. D’ailleurs, à l’exception des quelques émissions thématiques — ramassées dans le Carrefour de la création dominical – et des Grands entretiens lorsqu’ils laissent la parole aux compositrices et compositeurs, la présence de la musique contemporaine à l’antenne concorde en grande partie avec la diffusion des concerts, dont le nombre a diminué ces dernières années.

La grille 2020–2021 de France Musique ne propose que des concerts en soirée – rendant par corollaire quasiment absente la musique contemporaine du reste de la journée –, et ce aux créneaux suivants8 :

Une réflexion devrait être engagée afin d’étudier la possibilité de diffuser des concerts ou extraits de concerts à d’autres moments de la journée. Dès lors, une politique de captation plus importante devrait être mise en place, en lien avec les ensembles spécialisés, centres nationaux de création musicale, festivals, etc.

En outre, la valorisation des œuvres commandées et enregistrées par Radio France sur l’antenne de France Musique devrait être plus importante, en retransmettant en direct ou en différé les captations des concerts, mais aussi en faisant vivre et entendre le répertoire constitué au fil des années : beaucoup d’enregistrements ne sont jamais diffusés ou bien une seule fois dans les mois suivant la création, ce qui est fort dommageable.
La mise en place d’une heure de concert d’archives dédié à la musique contemporaine en septembre 2019, le dimanche à 20h, est à saluer mais reste insuffisante. En effet, la diffusion des œuvres des cinquante dernières années de manière générale, et des vingt dernières en particulier, devrait être quotidienne, étant entendu qu’une partie de ce répertoire n’a jamais donné lieu à une édition discographique.

Une réflexion autour d’une diffusion quotidienne d’archives de concerts de musique contemporaine à l’antenne semble donc centrale, permettrait en outre de valoriser la politique de commandes que Radio France mène depuis de nombreuses années et créant ainsi un cercle vertueux.

Les échanges avec les radios étrangères devraient également être repris et amplifiés afin que les œuvres « vivent » aussi à l’international. Au même titre, une meilleure valorisation sur les plateformes numériques, l’application mobile Radio France et sur les outils de communication de la station est sûrement à mettre en place, rassemblant les podcasts d’un maximum d’enregistrements de concerts de créations.

Les commandes radiophoniques

Depuis 1998, les Alla breve, devenus en 2017 Création mondiale, proposent chaque semaine la création d’une nouvelle œuvre, spécialement commandée pour l’émission.
Composée de cinq mouvements de 2 minutes, chaque œuvre est d’abord diffusée mouvement par mouvement, sous forme de feuilleton du lundi au vendredi multidiffusé à 12h55 et 22h559. L’œuvre est ensuite diffusée dans son intégralité dans une émission de 30 minutes, aujourd’hui intégrée au Carrefour de la création dominical, accompagnée d’un portrait de la compositrice ou du compositeur.

Cette courte émission joue donc un rôle important dans la politique de commande d’œuvres de Radio France au-delà de la seule saison artistique et mériterait une meilleure exposition à l’antenne.

GRAPHIQUE 12 : Répartition des œuvres entre inédits et rediffusions

L’analyse détaillée de la programmation met en exergue qu’une part non négligeable de la programmation est composée de rediffusions : 42,0 % si l’on exclut la saison 2019–2020, perturbée par un mouvement social puis par la crise sanitaire. Au final, ce sont « seulement » 25 œuvres nouvelles qui sont commandées, enregistrées et diffusées chaque saison.

GRAPHIQUE 13 : Répartition des interprètes des œuvres

Il est notable que la plupart des œuvres diffusées sont interprétées par des solistes et ensembles invités ; à ce titre, l’émission Création mondiale met en valeur de nombreux interprètes de musique contemporaine engagé·e·s.
A contrario, les formations musicales permanentes de Radio France sont quasiment absentes : sur les trois saisons, elles interprètent 6 œuvres – 3 par l’Orchestre philharmonique de Radio France, 2 par l’Orchestre national de France et 1 par le Chœur de Radio France –, soit 4,6 % de la programmation de l’émission.
Ces 6 émissions correspondent à 3 œuvres inédites – une pour le Chœur, une pour l’Orchestre philharmonique et une pour les solistes du philharmonique – pour 3 rediffusions.
Les œuvres orchestrales sont d’ailleurs très peu représentées dans la programmation de l’émission : en moyenne deux par saison, dont seulement une inédite. Ces œuvres sont exclusivement jouées par les orchestres de Radio France et l’Orchestre national d’Île-de-France, au titre du partenariat avec le concours Île de créations, dont l’œuvre lauréate est diffusée chaque année à l’antenne.

Il semble nécessaire que les formations permanentes s’engagent davantage dans ce programme radiophonique, s’agissant notamment du répertoire symphonique10.

Par ailleurs, très peu d’œuvres commandées pour l’émission font l’objet d’une reprise dans la saison artistique de Radio France – pas plus de 2 par an. En effet, la plupart sont ensuite programmées au concert par les interprètes invités, dans leurs propres saisons artistiques.

Des synergies pourraient dès lors être mises en place afin d’assurer une meilleure valorisation des œuvres commandées, particulièrement pour les projets impliquant les formations musicales permanentes.

GRAPHIQUE 14 : Répartition des œuvres par intersection du genre F/M et de l’âge11

Il convient de noter que l’ensemble des compositrices et compositeurs sont vivant·e·s et que l’émission Création mondiale fait la part belle aux jeunes générations : 49,3 % des inédits sont signés par des compositrices et compositeurs de moins de 40 ans. Les âges sont, assez logiquement, plus élevés s’agissant des rediffusions.
L’attention portée à la parité est à souligner : les compositrices signent 42,6 % des œuvres diffusées – 39,1 % des inédits et 46,7 % des rediffusions. Assez logiquement, les jeunes générations de compositrices sont largement sur-représentées par rapport de celles plus âgées : pour les inédits, les deux-tiers des compositrices ont moins de 40 ans.
En outre, nous n’observons aucun effet de concentration puisque, hors rediffusions, aucun·e compositrice ou compositeur n’a été programmé plus d’une fois.

L’attention portée à la diversité des compositrices et compositeurs est à saluer, autant sur les catégories d’âges que sur les sexes, et pourrait servir d’exemple au sein de Radio France.

La création radiophonique

La création radiophonique, jadis pourtant éminente, est aujourd’hui absente de l’antenne de France Musique comme des autres antennes de Radio France. Seule la chronique Les à-propos d’Antoine Berland, le dimanche dans le Carrefour de la création, se rapporte à la création sonore. De la même manière, les œuvres de Création mondiale sont régulièrement reprises au concert – où elles sont même parfois enregistrées – et ne constituent pas une forme de création radiophonique en soit, hormis éventuellement les quelques œuvres purement électroacoustiques, qui représentent 8,6 % de la programmation d’inédits sur les saisons 2017–2018, 2018–2019 et 2019–2020.
Alors que les Ateliers de création radiophonique (ACR) de France Culture étaient également un lieu d’expression pour les compositrices et compositeurs de musique contemporaine, leur réduction progressive de temps d’antenne puis jusqu’à leur suppression définitive en 2018 – au profit d’une émission davantage axée sur la forme documentaire – a fermé un espace de création qui n’a pas trouvé d’équivalent par la suite.

Il est primordial que Radio France envisage de mettre en place un espace de créations radiophoniques, sur France Musique ou sur France Culture puisque cette pratique radiophonique dépasse bien souvent le strict cadre du musical. Si l’on veut préserver cette pratique dans le paysage audiovisuel français, un tel espace doit exister sur le service public radiophonique.

La diffusion d’enregistrements discographiques

Il apparaît qu’une grande partie de la grille consiste en la diffusion de « plages » de disques, parfois sans logique de programmation et en découpant les œuvres, reproduisant ainsi peu ou prou le modèle de Radio Classique. Illustration de ce phénomène, En pistes contemporains ! a depuis 2019 remplacé des émissions thématiques dont la logique de programmation n’était pas liée à la sortie discographique.
Cette forme de diffusion des œuvres de musique contemporaine constitue un double miroir déformant dans le sens où :

Cette forme radiophonique, bien que nécessaire, ne peut pas constituer une base solide de diffusion de la musique contemporaine. Il en est de même pour la web-radio « La contemporaine » qui repose intégralement sur cette modalité de diffusion. C’est pourquoi il nous semble davantage judicieux de privilégier et d’amplifier la retransmission de concerts et la création radiophonique.

Cependant, si la direction des programmes souhaite garder sur certaines tranches la diffusion d’œuvres et d’extraits d’œuvres relativement courts, une réflexion doit être menée afin de ne pas en écarter la musique contemporaine. Par exemple, les formes courtes des commandes passées pour l’émission Création mondiale, et auparavant Alla breve, constituent un important répertoire d’œuvres composées ces vingt dernières années, pouvant être diffusé en dehors de l’émission commanditaire et dont les mouvements n’excèdent pas les deux minutes. En outre, il convient de noter que les œuvres en question jouent souvent sur l’idée de contrainte d’écriture, rendant ainsi plus aisée leur intégration dans une programmation thématique.

Une telle diffusion permettrait aux musiques qui ne constituent pas encore un répertoire patrimonial d’éviter au moins partiellement l’écueil que constitue aujourd’hui la diffusion de disques à l’antenne.

Présence des compositrices et compositeurs vivant·e·s à l’antenne

Outre la présence à l’antenne des œuvres de compositrices et compositeurs à l’antenne, il est également pertinent d’étudier le temps de parole qui leur est donné. Ce dernier se concentre principalement sur les rendez-vous à l’antenne suivants :

GRAPHIQUE 15 : Répartition des invité·e·s à l’émission Les grands entretiens de 2017 à 2020 (inédits uniquement)

Il apparaît donc que la présence des compositrices et compositeurs à l’antenne de France Musique pose deux grandes questions :

À propos des résultats d’audience de France Musique en novembre 2020, Marc Voinchet a déclaré : « En ces temps troublés, plus que jamais, ce monde a besoin de musique et de ceux qui la jouent, dans le partage et la fraternité ». En oubliant qu’avant d’être jouée, une musique doit d’abord être composée, le directeur de la station illustre parfaitement la politique d’invitation de cette dernière : la parole est donnée quasi-exclusivement à celles et ceux qui interprètent les œuvres et non celles et ceux qui les écrivent. Quand bien même certain·e·s interprètes dédient leur activité à la musique contemporaine, cette dernière reste largement minoritaire à l’antenne vis-à-vis des musiques de patrimoine.

Il est urgent de France Musique procède à un rééquilibrage des temps de parole sur l’ensemble de l’année, et pas uniquement sur des semaines thématiques dédiées à la création, afin de ne pas poursuivre le processus d’invisibilisation en cours des compositrices et compositeurs.

D’autre part, le temps de parole accordé aux compositrices et compositeurs, aujourd’hui dérisoire, doit être mieux réparti. En effet, il apparaît que les entretiens sous un format long ne laissent la parole qu’à un nombre très restreint de compositeurs, tandis que la diversité est actuellement confinée à des formats courts : Création mondiale ainsi que la brève pastille Pourquoi composez-vous ? intégrée au Journal de la création depuis septembre 2020. Une meilleure mise en valeur, supérieure à une poignée de secondes de temps d’antenne, des compositrices mais aussi des jeunes compositrices et compositeurs est absolument indispensable.

Au-delà de la nécessaire prise en compte de la diversité artistique et esthétique actuelle, France Musique, par sa mission de service public, se doit de donner la parole de manière équilibrée à tou·te·s les compositrices et compositeurs, en dehors de tout phénomène de starification.

Conclusions

La manière de se projeter dans l’avenir et de se réinventer collectivement sont au cœur des débats qui irriguent notre société depuis de nombreux mois. Cette projection ne peut aller de pair avec une invisibilisation des compositrices et compositeurs de musique contemporaine qui prolongent aujourd’hui la tradition de la musique classique et la renouvellent jour après jour. Mettre à l’arrêt l’écriture de ce répertoire et se cloîtrer sur les œuvres du passé serait un dangereux contresens. Plus que jamais, il nous semble que le rôle d’une radio de service public est d’être avant tout le miroir le plus fidèle possible de l’inventivité musicale à l’œuvre dans notre société. Il est utile de rappeler ici qu’il est du ressort de la direction de France Musique de défendre sa station contre les fâcheux qui voudraient la plier aux lois du marché : France Musique n’est pas Radio Classique et son premier objectif n’est évidemment pas de « faire de l’audience », en ne se souciant que du « nombre » et non de la « qualité » ni de la « prise de risque ».

Il s’agit dès lors de repenser totalement la politique menée par France Musique à l’égard des musiques des compositrices et compositeurs vivant·e·s. Si le Carrefour de la création est un point d’entrée assez holistique en la matière, la grille de France Musique, majoritairement composée d’œuvres de musique écrite, doit dans son entièreté pouvoir intégrer la musique contemporaine et celles et ceux qui la créent :

Par ailleurs, il est inconcevable que la musique contemporaine ne soit présente qu’à l’antenne de France Musique et ne trouve pas sa place sur d’autres antennes du groupe Radio France.
À titre d’exemple, si la Compagnie des œuvres sur France Culture prétend s’intéresser à « tous les grands créateurs et toutes les grandes créatrices du patrimoine culturel mondial de l’humanité : littérature, mais aussi arts plastiques, musique, cinéma et arts de la scène », les compositrices et compositeurs vivant·e·s en sont aujourd’hui totalement écarté·e·s. C’est tout autant le cas sur l’ensemble des émissions culturelles de la station comme sur celles de France Inter.

Au titre de la diversité culturelle, les compositrices et compositeurs de musique contemporaine doivent pouvoir bénéficier d’un temps d’antenne équivalent aux autres créatrices, créateurs et interprètes de l’ensemble des disciplines artistiques, d’autant que leur pratique se prête particulièrement à l’expression radiophonique et que leur regard sur le monde constitue, au même titre que les autres arts, une grande richesse.

En outre, Radio France doit urgemment remettre en place un espace de création radiophonique dans le but d’accueillir les propositions artistiques des compositrices et compositeurs, par exemple sur France Culture dont les auditrices et auditeurs peuvent être d’une certaine manière plus sensibles à ce type de projets pouvant s’appuyer sur des textes, des structures narratives, conceptuelles, etc.

Accompagnement des compositrices et compositeurs

Outre la présence des compositrices et compositeurs et de leurs œuvres dans la saison artistique et à l’antenne, leur accompagnement par Radio France va bien au-delà de la diffusion et passe également par la commande, la résidence et l’aide à l’enregistrement.

Commande d’œuvre

En passant chaque année en moyenne une cinquantaine de commandes – dont environ 60 % destinées à la saison artistique et 40 % pour l’émission Création mondiale –, le rôle d’initiative de Radio France dans la naissance de nouvelles œuvres est indéniable.

Dans la matinale de France Musique, jeudi 4 février 2021, Michel Orier, directeur de la musique et de la création de Radio France, a annoncé un doublement du budget dévolu par Radio France aux commandes d’œuvres musicales originales en déclarant que « nous sommes dans une époque [...] qui a besoin de croire en cette musique qui va, demain, devenir le nouveau patrimoine ».
Cependant, cette annonce et cet engagement, dont on ne peut que se réjouir, interviennent à un moment où les commandes d’œuvres musicales par Radio France sont extrêmement mal rétribuées – une grande partie se trouvent en-deçà des barèmes pratiqués par la direction générale de la Création artistique (DGCA) et les directions régionales des Affaires culturelles (DRAC) – et ne permettent pas une rémunération décente des compositrices et compositeurs.
Il conviendrait donc, au nom de l’exemplarité que se doit d’avoir une société exerçant une mission de service public, de les revaloriser afin de réduire l’écart avec les cachets des artistes-interprètes invité·e·s par Radio France – tels que les chef·fe·s d’orchestres et les solistes invité·e·s – et ainsi mieux répartir la valeur.
Dans le Journal de la création du dimanche 7 février 2021, il a été précisé que le nombre de commandes passerait de 50 à 60 par an, afin que ces dernières soient mieux rémunérées, ce qui équivaudrait environ à une revalorisation moyenne de 66 % de la rémunération des commandes d’œuvres. Cependant, une attention toute particulière devrait être portée aux commandes pour l’émission Création mondiale, actuellement rémunérées 1 000 € brut HT de manière forfaitaire, y compris lorsqu’il s’agit d’une œuvre orchestrale demandant des mois de travail.

Dans les annonces du 4 février 2021, Michel Orier insiste également sur la nécessité pour les grandes œuvres symphoniques de « mettre autour de la table plusieurs co-commanditaires ». En effet le rôle de Radio France en la matière devrait être beaucoup plus actif, en France et à l’international, en prenant en charge cette recherche de partenaires avec lesquels les compositrices et compositeurs n’ont pas toutes et tous de liens aisés.

Il serait également nécessaire de mettre en place un contrat de commande en bonne et due forme, de gré à gré, en lieu et place du contrat d’adhésion actuel dont la légalité est contestable. Ce contrat, devant être signé avant le début de la composition de toute œuvre, devrait notamment inclure :

Enfin, Radio France affirme par ailleurs sa volonté de promouvoir de nouvelles pratiques, telles que l’arrangement et la composition pour l’image. Dans ce nouveau cadre, il ne faudrait pas que la place accordée à la musique contemporaine soit réduite mais plutôt renforcée, en faisant la part belle à toutes les esthétiques qui émergent, afin de garantir une plus grande diversité d’expression. Cette place doit l’être tout particulièrement pour les répertoires symphoniques et vocaux, en s’appuyant sur les quatre formations permanentes de Radio France.

Développement des résidences

L’accompagnement des compositrices et compositeurs et Radio France devrait également passer par une politique de résidences au sein de la Maison de la radio et de la musique. À ce titre, il convient de noter que dans le cadre des résidences d’artistes mises en place en 2018, Pascal Dusapin a été en résidence durant la saison 2018–2019. Cependant, cette expérience n’a pas été renouvelée et les résidences d’artistes se concentrent depuis uniquement sur des interprète, délaissant ainsi les compositrices et compositeurs.

Il semble essentiel que Radio France entame une réflexion sur une mise en place pérenne de résidences pour les compositrices et compositeurs, qui permettrait de couvrir toute la diversité des propositions artistiques.

La présence d’une créatrice ou d’un créateur pourrait s’entendre sur un principe de plusieurs résidences débouchant sur un projet original mêlant la création d’œuvres « hybrides », à la fois pensées pour le concert mais également pour la radio en tant qu’outil singulier de diffusion.
Un appel à projet pourrait être formulé tous les ans pour accueillir plusieurs artistes en résidence. Sélectionnés par un jury indépendant – auquel des compositrices et compositeurs doivent être associés –, ces artistes auraient précisément pour mission d’élaborer ces œuvres « hybrides », de participer à la programmation (saison et festival Présences) et de venir offrir leur regard sur les différentes antennes du groupe.
Dès lors, elles et ils joueraient un rôle actif et créatif au sein de l’écosystème Radio France.

Accompagnement à l’enregistrement

Les projets de disques de compositrices et compositeurs en collaboration avec Radio France nous semblent également de moins en moins nombreux. Or, pour ce qui est des œuvres symphoniques, des accords négociés existent avec les formations orchestrales pour que ces dernières mettent à disposition un certain nombre d’heures de captation de qualité.

Il est primordial que Radio France communique plus largement auprès des compositrices et compositeurs quant aux dispositifs qu’elle propose, afin qu’elles et ils puissent proposer plus régulièrement des projets discographiques.

La Maison de la radio et de la musique est un lieu unique et privilégié pour produire des enregistrements et des disques en s’appuyant sur le savoir-faire et les compétences des techniciennes et techniciens pour imaginer ainsi des formes artistiques contemporaines des plus innovantes.
En tant que lieu de création, les compositrices et compositeurs peuvent trouver dans cette « maison » un espace de prédilection pour des projets innovants. Enregistrements immersifs en binaural, concerts commentés par le compositeur ou encore nouvelles formes intégrant la participation du public sont autant de projets à construire en incluant les créatrices et créateurs dès le processus de conception.
Tout comme les enregistrements de concerts de créations, ces contenus devraient être valorisés et rassemblés sur une plateforme numérique dédiée aux actrices et acteurs de la créations et à leurs œuvres, ainsi que sur l’application mobile Radio France.

Il serait pertinent que Radio France associe les compositrices et les compositeurs à une réflexion générale sur ce sujet afin d’inventer de nouveaux dispositifs alliant tout à la fois la créativité et les compétences des services de Radio France.

1 Occurrence ne correspond pas ici au nombre total d’œuvres différentes, mais au nombre d’œuvres au total, incluant le fait qu’une même œuvre puisse être programmée plusieurs fois.

2 Les données récoltées ne permettent pas d’identifier clairement « qui a joué quoi ? ». Il ne s’agit pas ici du pourcentage réel d’œuvres contemporaines jouées par une formation, mais de la participation de celui-ci à un programme où des œuvres contemporaines ont été jouées. Il faut donc envisager une marge d’erreurs, en particulier, quand plusieurs ensembles participent à un programme mixte (dans certains concerts, il arrive que deux formations ou plus se partagent un même programme). Dans ce cas, une formation peut faire une création tandis que l’autre joue une œuvre antérieure à 1950. Dans cette configuration, le résultat statistique ne fait pas la distinction et chacune des deux formations ont une création de comptabilisée. Cela dit, cela correspond en tout état de cause à une surévaluation de la part des œuvres interprétées, ce qui ne change pas fondamentalement l’analyse finale. De plus, seulement 67 programmes sur 482, soit 14 %, font intervenir plusieurs formations.

3 Ces artistes en résidences sont ici comptabilisé·e·s parmi les interprètes invité·e·s.

4 Concernant les interprètes d’un même programme, plusieurs configurations sont possibles : une ou plusieurs formations de Radio France seules, un·e ou des interprètes invité·e·s seul·e·s ou un mélange des deux (invité·e·s et formation·s permente·s). Du fait de l’hybridation des effectifs instrumentaux qui caractérisent en particulier les œuvres contemporaines, certains programmes nécessitent l’intervention d’interprètes extérieures à Radio France. Ainsi, des solistes ou des ensembles invités viennent jouer sur un programme, seul·e·s ou en complément d’une ou plusieurs formations permanentes.

5 Les âges sont calculés à l’année 2020, c’est-à-dire qu’un·e compositrice ou compositeur né·e en 1959 est comptabilisé·e dans la catégorie des plus de 60 ans, même si elle ou il a été joué·e avant 2019, où elle ou il n’avait pas encore 60 ans.

6 Il est vrai qu’à travers l’histoire, les compositrices ont toujours eu une place marginale dans la création musicale et que les politiques incitatives quant à l’émergence des compositrices sont relativement récentes. Travailler sur une statistique par genre féminin ou masculin sur l’ensemble du répertoire serait illisible tellement la part féminine serait presque inexistante. Sont exposées ici les statistiques pour les compositrices contemporaines, c’est-à-dire ayant écrites des œuvres après 1950.

7 En moyenne, ces émissions consacrent moins du quart de leur programmation à la musique contemporaine.

8 En outre, À l’improviste propose une fois par mois dans le Carrefour de la création des concerts d’improvisation.

9 Jusqu’en 2015, l’émission était diffusée trois fois par jour.

10 La revalorisation de la rémunération de la commande, traitée infra, s’avère pour cela nécessaire tant la rétribution actuelle – 1 000 € bruts HT – est en-deçà d’une rémunération décente pour une œuvre symphonique. Il convient d’ailleurs de noter que dans le cadre du concours Île de création, l’œuvre fait l’objet d’une co-commande avec la Maison de la musique contemporaine – anciennement Musique nouvelle en liberté.

11 Les âges sont calculés lors de l’année de diffusion.

12 La saison 2019–2020 comporte peu d’émissions inédites en raison d’un mouvement social puis de la crise sanitaire.