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Aide à l'écriture d'une œuvre musicale originale

Le dispositif d’aide à l’écriture d’une œuvre musicale originale, autrefois géré directement par la direction générale de la Création artistique (DGCA), a été déconcentré de manière chaotique en 2020 suite à la suppression de commissions administratives à caractère consultatif dans le cadre de la réforme de l’État. Trois ans après, le Syndicat français des compositrices et compositeurs de musique contemporaine souhaite faire, à la suite des rapports qu’il a rédigés en 2020 et 2021 – dont peu de préconisations ont été prises en compte –, le bilan d’une déconcentration imparfaite et inachevée.

En effet, le louable objectif affiché d’inciter au développement de la création en dehors des grands centres urbains ne semble pas avoir atteint son but : l’inégalité entre les différentes régions persiste et nous n’observons pas d’augmentation sur les trois années écoulées du nombre de dossiers dans les régions déjà faiblement représentées. En la matière, force est de constater que la déconcentration des soutiens publics à l’écriture musicale ne peut se faire sans l’encouragement et le soutien de structures locales pour la musique contemporaine sur l’ensemble du territoire (ensembles, lieux de diffusion, centres nationaux de création musicale, etc.).

En outre, la gestion du dispositif par les directions régionales des Affaires culturelles (DRAC) et les directions des Affaires culturelles (DAC) n’a pas été accompagnée par un transfert de moyens ni de compétences, tant sur le plan de l’instruction que du traitement administratif des dossiers. Dès lors, elle s’est souvent assortie d’une confusion entre aide à l’écriture et aide au projet, mais aussi entre aide aux artistes-auteurs et aide aux particuliers. Ces confusions, touchant directement à la nature du dispositif, ont notamment entraîné une détérioration de l’expertise et par conséquent un accroissement des inégalités de traitement entre les dossiers absolument inacceptable.

Alors que le décret du 24 juin 2014 relatif à l’aide à l’écriture d’œuvres musicales originales a été abrogé au 1er janvier 2020, l’encadrement du dispositif ne repose plus que sur la tardive circulaire du 25 juin 2021, qui reste très générale et acte une forme de déclassement du dispositif.
Au-delà des préconisations développées infra, le SMC ne peut qu’enjoindre le ministère de la Culture à reconsidérer totalement la manière dont il met en œuvre ce dispositif, afin qu’il redevienne central dans la politique publique de soutien aux artistes-auteurs dans le champ de la musique contemporaine.

Préconisations

Cesser de confondre aide à l’écriture et aide au projet : le dispositif concerne exclusivement le travail d’écriture d’une œuvre musicale sur partition et/ou support audio en amont de son interprétation. Ce point doit être précisé autant dans les critères d’éligibilité des dossiers et dans le formulaire de demande en ligne, qu’auprès des conseillers en DRAC et DAC.
Au cours des trois années passées, nous constatons une augmentation significative de dossiers déposés qui ne relèvent pas d’une aide à l’écriture, en particulier dans les répertoires jazz, musique du monde et chanson où la demande concerne davantage une aide au projet puisque la phase d’écriture en amont est généralement très réduite. Les notions de « support » ou « contexte » que l’on évoque dans les musiques relevant essentiellement de l’oralité ne peuvent se substituer à la notion d’écriture. Cette dernière correspond à une notation prescriptive, une autonomie de l’écriture, différenciée de son interprétation, qu’il faut distinguer d’une notation descriptive qui est la fixation sur une partition a posteriori d’une pratique instrumentale. Dans la confusion entre aide à l’écriture et aide au projet, il y a un réel danger de détournement d’un dispositif destiné aux artistes-auteurs – dont la rémunération concerne majoritairement le temps d’écriture – vers des interprètes, improvisatrices et improvisateurs qui sont déjà rémunéré·es en cachets et peuvent prétendre au statut d’intermittent·e du spectacle.
Enfin, cette confusion entre aides directes aux artistes-auteurs et aides aux projets versées à des structures se confirme avec certaines DRAC et DAC qui ont exigé, lors du versement de l’aide, que les compositrices et compositeurs envoient un budget, ce qui est contraire à la circulaire du 25 juin 2021 et parfaitement impossible vue la nature du dispositif.

Cesser de confondre aide aux professionnel·les et aide aux particuliers, en le précisant dans la communication du ministère, le formulaire de demande en ligne et auprès des DRAC et DAC.
En effet, cette aide constitue un revenu obligatoirement rattaché à la sécurité sociale des artistes-auteurs1 et relève fiscalement de la catégorie des bénéfices des professions non commerciales2. La législation indique donc, entre les lignes, que les bénéficiaires d’une aide à l’écriture d’une œuvre musicale originale doivent, pour être en règle sur les plans fiscal et social, disposer d’un numéro de SIRET dès lors que leur résidence fiscale est en France. Cette aide ne peut donc d’aucune manière s’adresser à des particuliers – comme indiqué dans la communication du ministère de la Culture – ou des ménages – tel que stipulé dans programme 131 du projet annuel de performances annexé au projet de loi de finances.

Procéder à une réévaluation à la hausse du barème du montant des aides annexé à la circulaire du 25 juin 2021 et préciser les modalités de calcul afférentes afin de mettre un terme aux disparités entre régions pour des œuvres équivalentes.
Cette revalorisation est impérative dans un contexte de forte inflation et est d’autant plus importante que ce barème sert de référence dans l’établissement de nombreux contrats de commandes d’œuvres.
Par ailleurs, si la circulaire prévoit que le montant de l’aide soit calculé en s’appuyant sur le barème « en fonction de la catégorie de l’œuvre, de sa durée et de sa nomenclature », force est de constater que ce point fait l’objet de nombreuses inégalités de traitement. En effet, la proportionnalité du montant avec la durée et la nomenclature est envisagée différemment selon les DRAC et DAC, mais aussi au sein de la même région. Il est pourtant nécessaire de garantir aux compositrices et compositeurs un traitement qui ne souffre d’aucune inégalité ni aucune forme de discrimination.

Évaluer le critère de « perspectives de rencontre de l’œuvre avec le public » différemment pour les catégories œuvre symphonique, ensemble instrumental et vocal, œuvre électroacoustique, installation sonore et pratiques amateurs – qui n’ont en général qu’une date de création à proposer –, en attribuant automatiquement au dossier, dès lors qu’une date de création est présentée, autant de points que de membres du comité d’expert·es.
En effet, les critères de notation qui placent sur un pied d’égalité les critères de « parcours du compositeur » et « intérêt artistique du projet », relevant de la qualité artistique, et celui de « perspectives de rencontre de l’œuvre avec le public », relevant de la diffusion, favorisent les projets disposant d’un large réseau de diffusion plutôt que les œuvres de création tout autant exigeantes, mais plus difficiles à reprendre immédiatement. Sur ce point, le dispositif doit absolument prendre en compte la réalité et la pluralité des réseaux de diffusions des musiques dont il entend soutenir l’écriture.
Le SMC déplore par ailleurs que le nouveau formulaire de demande en ligne pour 2023 rende obligatoire, pour valider la demande, le dépôt d’engagements de structures pour la création et pour les reprises envisagées, ce qui est absolument contradictoire avec la circulaire du 25 juin 2021 et discrimine une nouvelle fois ces mêmes catégories musicales.

Respecter systématiquement la composition des comités à onze expert·es comme décrite dans la circulaire du 25 juin 2021, avec six compositrices ou compositeurs, deux interprètes, deux diffuseurs et une personnalité qualifiée, en s’assurant d’un renouvellement des expert·es d’une année sur l’autre. Il conviendrait que pour faire partie d’un comité, les compositrices et compositeurs aient bénéficié au moins une fois d’une aide à l’écriture par le passé, que les interprètes soient spécialisé·es dans le répertoire écrit de la musique contemporaine et, qu’avec les diffuseurs, elles et ils aient déjà créé ou programmé par le passé des œuvres soutenues par ce dispositif.
En effet, aucun cadre rigoureux ne semble être donné à l’heure actuelle quant au choix des membres experts siégeant dans les comités et le règlement intérieur mentionné dans la circulaire est inexistant. Il est pourtant essentiel que la compétence des expert·es soit assurée. Dans plusieurs régions nous observons la tendance à convoquer les mêmes comités tous les ans. Cette dérive, qui titularise de fait les expert·es d’une région, fait apparaître le risque d’une « couleur esthétique » par région, contraire à la neutralité requise dans l’attribution des aides, de surcroît pour un dispositif national.
Par ailleurs, il serait pertinent d’envisager, sur le modèle des aides déconcentrées destinées aux artistes, auteurs d’œuvres graphiques et plastiques, qu’au moins un membre du comité soit membre d’un syndicat ou d’un organisme représentant les compositrices et compositeurs.

Établir un code de déontologie pour le bon déroulement des comités d’expert·es, avec notamment un temps d’écoute et d’étude des partitions imprimées suffisant.
Les témoignages récoltés auprès de nos membres ayant participé aux comités d’expert·es ont révélé que les conditions d’étude et d’écoute des dossiers étaient très inégales d’une région à l’autre. Si dans certaines DRAC la qualité d’écoute, le sérieux des échanges, ainsi que la compétence et la préparation des expert·es ont été loués, pour d’autres régions c’est tout le contraire qui a été rapporté.
Des entorses à la déontologie attendue normalement dans ce type de commission ont été constatées (anonymat des votes, personnes concernées par un dossier ne sortant pas pendant l’échange, impréparation des rapporteurs, qualité d’écoute déplorable, absence de partitions papier, communication entre rapporteur et dépositaire du dossier de la demande en amont du comité, etc.).
En 2022, les comités d’expert·es se sont tenues généralement en présentiel, mais dans certaines régions ils ont été convoqués en visioconférence : les possibilités d’écoute et d’échange n’ont donc pas été identiques. En outre, comme déjà souligné dans nos précédents rapports, l’étude des dossiers par ordre alphabétique et non par catégorie rend l’évaluation beaucoup plus difficile.
Il paraît donc primordial d’harmoniser le traitement des dossiers afin d’obtenir une égalité de jugement.

Rassembler les comités d’expert·es de certaines régions pour contrer la disparité du nombre de dossiers étudiés entre chaque région : le nombre de dossiers à traiter doit être comparable dans toutes les comités d’expert·es, avec un minimum de 25 dossiers. Toutefois, cette disparité ne pourrait être in fine pleinement résolue qu’en organisant une commission nationale.
En effet, parmi les disparités les plus criantes entre régions, le nombre de dossiers déposés et retenus dans chaque région apparaît clairement. Cette situation a d’ailleurs pu entraîner une disparité de jugement, plus ou moins sévère, selon le nombre de dossiers à traiter. Ainsi nous déplorons le cas de l’Île-de-France où en 2022 moins de 30 % des dossiers déposés ont obtenu un avis favorable, alors que sur l’ensemble du territoire national ce pourcentage est supérieur de 10 points.

Clarifier la question du traitement de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) de ces aides à l’écriture, afin de ne pas placer les bénéficiaires de ce dispositif dans une situation d’insécurité juridique sur le plan fiscal, et, le cas échéant, former les DRAC et DAC à sa gestion.
Actuellement ces aides sont versées sans application de la TVA. Or, seules les aides et subventions versées sans contrepartie ne sont pas soumises à la TVA3. Dans le cas du dispositif d’aide à l’écriture d’une œuvre musicale originale, la circulaire du 25 juin 2021 prévoit que l’aide ne soit versée qu’après réception par les DRAC des partitions et établissement d’un certificat de livraison, ce qui pourrait constituer une contrepartie au versement de l’aide. Il convient donc de clarifier ce point rapidement et d’indiquer, le cas échéant, sur un document officiel, que l’aide est versée sans contrepartie, en modifiant si nécessaire les modalités de versement. Dans le cas contraire, pour les compositrices et compositeurs ayant perdu le bénéfice de la franchise – ou le perdant automatiquement lors du versement, le seuil étant inférieur à certains montants d’aide – , il est impératif de permettre aux compositrices et compositeurs qui en seraient redevables de facturer la TVA4.

Conditionner le maintien de la gestion du dispositif en régions à un plan de formation des personnels des DRAC et DAC aux enjeux du dispositif, tant sur le plan artistique qu’administratif.
En effet, dans certaines DRAC et DAC, les conseillères et conseillers en charge de l’aide à l’écriture d’une œuvre musicale originale ont pour périmètre l’ensemble du spectacle vivant, parfois sans formation musicale, conduisant aux confusions évoquées supra dans l’accompagnement et le traitement de dossiers : choix d’expert·es non-compétent·es, confusion entre aide à l’écriture et aide au projet, etc.
D’autre part, la gestion administrative des dossiers doit faire l’objet d’une franche amélioration, avec formation des personnels concernés – possiblement en créant des synergies avec ceux chargés du traitement des aides déconcentrées destinées aux artistes, auteurs d’œuvres graphiques et plastiques. On constate encore, dans certaines DRAC, des versements de l’aide très tardifs, plaçant dans certains cas les compositrices et compositeurs dans une difficulté économique. Par ailleurs, outre la demande de budgets pour procéder au versement – mentionnée supra –, nombre de DRAC font signer des modèles d’attestations aux aides de minimis faisant référence à des textes qui ne sont plus valides.

Revoir le formulaire en ligne de demande d’aide à l’écriture d’une œuvre musicale originale.
Comme développé supra, il est nécessaire de supprimer la demande systématique de documents relatifs aux reprises. Par ailleurs, les courts extraits demandés vont à l’encontre de l’écriture d’une forme dans la durée ; il conviendrait de demander des liens internet revoyant à des enregistrements intégraux des œuvres présentées dans le dossier, mais aussi d’autres informations éclairant le parcours artistique de la compositrice ou du compositeur – site internet, entretiens audio ou vidéo, articles, etc.

1 4o de l’article R. 382-1-1 du code de la sécurité sociale.

2 Article 92 du code général des impôts ; le régime particulier prévu à l’article 93 du même code ne pouvant s’appliquer ici.

3 BOFIP BOI-TVA-BASE-10-10-40.

4 Référence au règlement (UE) no 1998/2006 de la Commission du 15 décembre 2006, qui n’est plus valide depuis fin 2013, et non au règlement (UE) no 360/2012 de la commission du 25 avril 2012, en vigueur.

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