Suite à la mise en place de nouveaux dispositifs d’aides par la SACEM, un courrier adressé à François Besson, directeur de l’action culturelle, récapitule les inquiétudes, les fragilités et les mises en danger identifiées par les acteurs de la création musicale.
Monsieur,
La date limite de dépôt des dossiers pour les dispositifs d’aides de la Sacem était fixée au 14 février 2021. Un grand nombre d’acteurs culturels ont donc déposé leurs dossiers dans les temps pour prétendre aux aides financières proposées. Pour autant, nous souhaitons vous faire un retour sur ces dispositifs d’aide qui mettent en péril leurs structures via un rendez-vous en visio-conférence avec les représentants de nos syndicats et fédérations.
La situation sanitaire actuelle a, comme nous le savons, imposé une refonte d’attribution des aides de la part de la SACEM. La presque totalité des crédits d’interventions pour « les musiques contemporaines » a donc été supprimée pour créer de nouveaux dispositifs, moins bien dotés mais bien plus lourds administrativement. Les festivals, les ensembles et toutes structures de production sont ainsi privés de façon brutale et sans concertation d’une ressource importante dédiée aux compositeurs.
Après l’analyse et l’étude de l’impact de ces nouveaux dispositifs sur le soutien à leur activité, les acteurs de la création (ensembles spécialisés, compositrices et compositeurs, festivals, centres nationaux de création musicale) souhaitent exprimer leur plus vive inquiétude.
L’évolution de ces dispositifs, et notamment la transformation d’une aide à la saison en une aide aux projets centrée systématiquement autour d’une commande, met en péril une dynamique profonde engagée depuis plusieurs années dans un dialogue fécond avec les compositrices et les compositeurs, favorisant d’un côté la création et la diffusion des œuvres nouvelles et, d’un autre, la promotion de formes innovantes de concerts et de spectacles.
Plusieurs zones de fragilisation apparaissent avec la mise en place de ces dispositifs, avec des répercussions en chaine, défavorables au travail même des créateurs :
- Des capacités de production en forte baisse.
La nouvelle base de calcul des aides reléguant en second plan la part du budget consacré à la production fragilise le montage des projets. La création musicale, par son essence même, nécessite un investissement financier important de la part des structures porteuses de projets. Commandes, temps de répétitions, moyens techniques, représentent autant de charges financières qui ne sont compensées par pratiquement aucune cession. - Des capacités de reprises réduites.
L’enjeu de la reprise et de la constitution d’un répertoire est essentiel, ne plus soutenir que le moment de la création des œuvres semble sonner comme un recul. Un dispositif d’incitation à la reprise des œuvres au titre de la valorisation du répertoire doit pouvoir être parallèlement mis en place, afin de générer des droits d’exécution publique et de rééquilibrer les rémunérations issues de la commande et de l’exploitation dans les revenus des compositrices et compositeurs. - Une perte de capacité de projection.
L’instabilité engendrée par un soutien morcelé aux projets n’est plus à démontrer. Elle a pour effet immédiat l’anéantissement des projections à moyen terme et la révision de l’ambition des projets, afin de pouvoir contenir les risques financiers devenus des risques à court terme. - La non prise en compte d’un écosystème singulier.
Dans cet écosystème, tous les acteurs entrent en dialogue permanent pour définir des équilibres au cas par cas, situation par situation, projet par projet. S’il est important de proposer une référence permettant l’adéquation des rémunérations des créateurs au travail d’écriture, il faut pour cela prendre en considération l’économie propre à chaque groupe d’acteurs. Relever les plafonds de prise en charge pour les structures liées à l’indépendantes nous paraît une mesure nécessaire, afin qu’elles ne renoncent pas à commander des œuvres, tout en assurant une rémunération décente des compositrices et compositeurs. Une telle mesure pourrait être généralisée à tous les ensembles pour les projets ambitieux dans leurs durées et leurs effectifs. - Un barème qui pose des questions.
Sa conception centrée sur la durée de l’œuvre installe l’idée que l’on puisse estimer la qualité du travail de la compositrice et du compositeur uniquement en fonction de sa dimension temporelle. Sa conception ciblée sur le type de formation instrumentale ou vocale encourage la composition pour les formations importantes et défavorise celle pour les plus petites formations, produisant un impact plus important sur l’économie des ensembles. - Un paradoxe : ouvrir dans la restriction.
La SACEM entretient légitimement un lien étroit avec les ensembles spécialisés qui suscitent le plus grand nombre de créations, construisent et valorisent le répertoire de demain.
En cette période de difficultés budgétaires importantes rencontrées par la SACEM, il semble paradoxal que les restrictions se fassent en imaginant un dispositif qui fragilise les premiers défenseurs de la création et risque de créer des effets d’aubaine auprès de formations qui, pratiquant peu ce répertoire, y voient la possibilité de financements nouveaux. Il nous paraît essentiel que les dispositifs d’aide de la SACEM aux ensembles continuent de soutenir avec conviction les projets artistiques portant en leur cœur la création musicale.
Les acteurs de la création s’inquiètent de nombreuses mesures qu’ils pourraient avoir à prendre au vu des nouvelles projections budgétaires :
- construction d’une nouvelle grille de plannings de production revue à la baisse pour contenir les coûts ;
- renoncement à une dynamique de diffusion des œuvres sur plusieurs saisons ;
- réajustement des projets artistiques non dans le dialogue avec les artistes mais par nécessité de correspondre à des critères d’affectation d’aides aux projets ;
- abandon des projets d’envergure, comme par exemple de théâtre musical, si nécessaire pourtant à l’entrée sur les plateaux des scènes pluridisciplinaires.
Toutes ces répercussions, au-delà de leur impact négatif sur les structures, ne peuvent que porter atteinte à l’émancipation créatrice des compositeurs et à la vie de leurs œuvres.
Futurs composés, Profedim, le Syndicat français de compositrices et compositeurs de musique contemporaine (SMC), la FEVIS, l’Association des centres nationaux de création musicale (a/CNCM) souhaitent au plus tôt engager une discussion avec la Sacem autour de ces inquiétudes et de ces réflexions pour accorder les nécessités d’une refonte des aides au vu de la situation actuelle et à la réalité artistique et économique.
Nous souhaitons plus de transparence sur les budgets supprimés ainsi que sur celui des nouveaux dispositifs. Nous demandons également un engagement clair pour le retour à des budgets au minimum équivalents lorsque les recettes reviendront à la normale.